Le Récit d'un etudiant noir en chine !
Amateur de football etudiant , j’avais entrepris d’intégrer l’équipe africaine dès mon arrivée en Chine. C’était une équipe bien structurée, pourvue de nombreux joueurs de talent et bénéficiant de l’appui financier de nombreuses ambassades africaines. Nous jouions à un niveau à peu près égal à la troisième division chinoise. Plusieurs équipes participaient à ce championnat dont de nombreuses équipes chinoises mais aussi d’autres équipes étrangères. Les matchs se déroulaient généralement le samedi sauf exception dû par exemple aux conditions météorologiques.
C’est dans cette équipe que j’ai rencontré Tchouma qui avait un rôle déterminant au sein de la défense. Evoluant comme gardien de but, Tchouma et moi étions appelés à beaucoup collaborer étant donné que nous étions les derniers remparts de notre équipe.
Originaire de Zambie, il était en troisième année de médecine quand je suis arrive en Chine. Il lui restait deux ans d’études pour décrocher son diplôme et rentrer en Zambie apporter sa contribution dans le développement de son pays.
Tchouma était très réfléchi et intègre. On ne le voyait jamais dans les soirées mondaines, occupé qu’il était à réviser ses leçons. Les quelques heures de loisirs qu’il s’offrait étaient les entraînements de football les jeudi et les matchs de football traditionnels tous les samedi.
Ceux qui lui étaient très proches racontaient qu’il avait une autre passion. Elle se nommait Abigail, une jeune fille namibienne qui étudiait les Relations Internationales. Tchouma lui faisait une cour assidue mais la fille lui opposait une résistance douce mais ferme. Elle ne le rejetait pas mais elle voulait aller doucement, prendre son temps et surtout s’assurer qu’il était vraiment le bon choix.
Quand il avait passé la journée à essayer de décortiquer quelques passages complexes dans ses livres de médecine, il s’en aller le soir venu retrouver Abigail avec qui il échangeait longuement. Ils allaient souvent au restaurant ensemble et parfois, ils se baladaient dans le campus autour du lac rafraîchissant. De ces randonnées, Tchouma devait certainement tirer le plus grand bien. A chaque fois qu’il avait rencontré abigail, il était resplendissant, son visage était rayonnant de ce sourire éclatant. Il devait beaucoup l’aimer Abigail.
C’est peut-être cette proximité platonique avec cette fille qui a réussi à te sauver Tchouma. Abigail avait remarqué que tu avais changé. Tes visites étaient devenues de véritables supplices pour elle. Tu étais vulgaire, menaçant, grossier. Tu ne prenais plus soin de ton corps. Ton menton d’habitude si bien tenu, était maintenant la demeure d’une barbe sauvage. Tu n’assistais plus aux cours et même le football, ta passion de toujours, ne t’intéressait plus.
La rumeur se propageait. Tchouma avait perdu la tête, il était devenu fou. Etait-ce vrai ? J’en ai eu la certitude ce jour ou la providence avait voulu que tu rencontres Alain en compagnie d’Abigail. Quelle colère avais-tu alors manifestée ! Vêtu d’un manteau dont-on se couvre normalement au plus froid de l’hiver, ton visage suintant était bien la preuve qu’en ce mois de juillet, quelque chose d’anormal se produisait en toi.
Il s’avança vers Alain et Abigail. La pauvre fille tremblait à la vue de cet homme devenu terrible. Il hurla des mots incompréhensibles. L’homme devenu encore plus bavard, avait maintenant entrepris de prendre la main d’Abigail. A quelques mètres de là se trouvaient deux policiers qui suivaient attentivement la scène. Ulcéré d’être repoussé, Tchouma assena une gifle violente à Abigail et voulut cravater Alain. Il eut heureusement le réflexe rapide et put éviter cet affront qui s’annonçait terrible.
L’excitation de Tchouma avait atteint son comble. Les deux policiers voulurent intervenir mais ils n’eurent pas le temps de réagir car à peine s’étaient-ils approchés que Tchouma les avait roués de coup d’une violence démentielle. Il réussit à les maîtriser et n’eut été l’intervention musclée de quelques autres policiers rapidement appelés en renfort, Tchouma aurait pu commettre l’irréparable.
La sentence était sans appel. Après un bref passage dans un hôpital psychiatrique, la décision fut prise, après consultation de l’ambassade de Zambie, de renvoyer Tchouma au pays. Il était devenu fou.
Cher équipier, ce qui t’est arrivé aurait pu nous arriver à tous. La providence a cependant voulu que tu sois celui-là qui devait subir ce destin injuste. Tu as heureusement pu retrouver toutes tes capacités dans ta Zambie natale. C’est vrai que tu pleures en pensant à tes études que tu étais sur le point d’achever mais réjouis-toi d’avoir pu guérir. D’autres, très nombreux, n’ont pas eu ta chance brave ami. Dahirou et Lazaro par exemple.
Dahiru, de tous les africains que j’ai eu l’honneur de connaître en Chine, tu étais le plus simple. Tu étais étudiant à Tianjin, petite ville située à deux heures de train de Pékin. Quand tu arrivais à Pékin pour rendre visite à tes amis, tu prenais la peine d’aller dans toute chambre où logeait un étudiant africain pour dire bonjour. C’est d’ailleurs de cette façon que je t’ai connu. Et ce jour où tu étais venu frapper à ma porte, nous avons longtemps bavardé car je me sentais encore dépaysé. J’étais là depuis ä peine six semaines. On s’était échangés nos numéros de téléphone et on s’appelait de temps a autre.
Comme la plupart des étudiants africains dans l’empire du milieu, tu étudiais la médecine. Depuis cinq ans que tu étais en Chine, tu n’étais plus rentré au Niger. Ta famille te manquait. Dahirou, cette famille là dont tu parlais constamment n’allait plus jamais te revoir comme tu étais parti. Le monde austère dans lequel on vivait et les études qui demandaient des efforts surhumains ont fini par te rendre fou.
Le plus triste dans cette tragédie, c’est que tu t’en étais plusieurs fois inquiété. Je me souviens bien de la dernière visite que tu m’avais rendue.
«Hervé, les gens disent que mon comportement a changé. On me trouve bizarre. Est-ce que tu remarques quelque chose d’anormal chez-moi ? »
Non Dahirou, ce jour là je n’avais rien remarqué et on a continué de blaguer, de rigoler comme à l’accoutumée. Et un jour on m’annonça que ton ambassade avait décidé de te renvoyer au Niger pour y subir des soins. Tu avais complètement disjoncté.
Reconnais-tu seulement ta mère ? Cette mère, tu m’en avais tellement parlée Dahirou ! Quelle tristesse de savoir que tu n’as pas pu recouvrer ta mémoire. Quelle tristesse !
La vie, pauvre Dahirou, est un long chemin périlleux. Tu n’as pu aller jusqu’au bout de tes rêves, tu n’as pu achever tes études de médecine. Mais ta gentillesse et ta disponibilité continuent de m’illuminer au quotidien.
Pour toi Dahirou j’ai décidé d’écrire, de témoigner. Mais aussi pour toi Lazaro…
Dès notre retour à Pékin, Alain se montra très entreprenant. Il multiplia toutes sortes d’initiatives pour retrouver son grand amour. Et comme l’expérience montre bien qu’on sort difficilement indemne d’une grave crise comme celle que nos deux amoureux traversaient, la relation entre Alain et Xiao Yu se dégrada considérablement.
La nuit, dans les longues avenues pékinoises, nos balades étaient devenues des moments de réflexion. Partant de Zhongguaxun, on marchait le long de la Haidian qu pour aboutir sur la fameuse Xueyuan Lu. Ce fameux périmètre était devenu notre milieu naturel.
Lors d’une de ces balades nocturnes, on fit la rencontre de Liu. Ce garçon allait jouer un rôle déterminant dans ta vie. Assis au bord de la chaussée à cette heure très avancée de la nuit et sous la seule réverbération d’une lumière lointaine, Lui toi et moi causions. Tu lui racontas toute ton histoire. Il en était très affecté le bon Liu et offrit de jouer les médiateurs.
Entre temps, le comportement de ta dulcinée avait bien changé. Relayant parfaitement les invectives de son père, elle ne manquait plus une occasion de te faire comprendre qu'il n'était pas normal qu'un africain épouse une chinoise. Affalé sur ton lit, tu étais là, la mine grave et ne sachant plus que faire. Et puis un autre jour, Xiao Yu revenait , le discours moins narquois, le visage attendri, la peau sensible à chacune de tes caresses, les yeux arborant cette mine unique typique d’une femme qui ne veut qu’on la fasse trop attendre. Elle était là parce qu’elle te désirait Alain. Après son départ, le souvenir de ces ébats t’ébranlait encore plus. Que voulait-elle au juste ?
A cette question, Xiao Yu répondit un jour les yeux pleins de larmes qu’elle ne savait pas. Elle disait subir la pression de sa société qui refusait de la laisser vivre son amour comme elle le souhaite. Elle était victime de commérages parce qu’elle osait sortir avec toi Alain. Cette réalité, toi et moi en sommes conscients. Xiao Yu mérite bien de l’indulgence. Elle ne savait vraiment pas où mettre la tête…
Liu faisait maintenant partie du décor. Il nous rendait visite quotidiennement. Je me souviens de ce premier jour où il a rencontré Xiao Yu. IL n’en revenait pas. Il nous dit tout simplement "cette fille est très belle. Pour un chinois ordinaire comme moi, je n’ai aucune chance". Mais fidèle à l’image d’intégrité qu’il avait su imprimer dans nos cœurs, Liu réussit à convaincre Xiao Yu que le monde avait changé. La Chine, disait-il, avait le privilège d’être dorénavant ouverte sur le monde. IL ne fallait certes pas tout copier bêtement, tout accepter mais il était nécessaire de se libérer de certaines pesanteurs qui anéantissent tout espoir de briser les tabous enfouis dans l’inconscient de tout chinois. Liu continuait en disant qu’il était urgent que chaque chinois s’assume pleinement sans se soucier de l’entourage.
Quel orateur ce Liu ! Grâce à lui, Alain allait peut-être réussir à reconquérir la femme qu’il aimait. Ses visites étaient redevenues fréquentes. Les deux amoureux avaient recommencé à explorer le clair de lune et à profiter du scintillement des étoiles pour se livrer à quelque activité "interdite". Les arbustes de ce parc qu’ils visitaient nuitamment plusieurs fois par semaines redevinrent tout flamboyants, contents de ces retrouvailles…
Ces histoires, il faut les avoir vécues de près pour comprendre. Je ne m'étais jamais imaginé que cette peau sombre que je porte pouvait autant irriter autrui. Pourquoi cette haine doublée de mépris? Je me sens pousser la tentation de dire comme Jacques Chevrier " l’angoisse d'être nègre débouche sur un problème qui nous concerne tous, l'angoisse d'être homme". Oui, le problème relatif à notre peau est une question universelle et il nous incombe la responsabilité de lui trouver des solutions. C'est un défi grandiose d’où la nécessité de parler ici comme Franz Fanon " chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, l'accomplir ou la trahir".
Tu avais décidé d’accomplir la tienne Alain. Ne pas céder à ces parents bornés est déjà la preuve que tu voulais contribuer à l’éradication de ce mal qu’on appelle racisme. Je te félicite pour ce courage. Tu avais gagné la première partie de la bataille, la plus importante peut-être, Xiao Yu étant dorénavant prête à faire face à ses parents. Elle voulait devenir ta femme contre vents et marées.